Publié le 31 mai 2016

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Une première avec le jugement qui vient d’être rendu en Argentine à l’encontre de 15 militaires et agents civils, (14 Argentins et 1 Uruguayen) impliqués dans la tragédie répressive de l’Amérique latine des années 1970. Les accusés ont écopé de peines allant de 8 à 25 ans de prison, selon les cas. Si des condamnations de responsables de la répression avaient pu avoir leu auparavant, c’est la première fois qu’un jugement porte spécifiquement sur le Plan Condor.

La répression concertée

Comme on le sait, il s’agit d’une opération de répression concertée mise en place au milieu des années 1970 dans le cône Sud, à l’instigation de la dictature du général Pinochet, en coordination avec l’Argentine, l’Uruguay et la Bolivie. D’autres Etats latino-américains, sous dictature ou non, ont parfois participé de manière ponctuelle au système. Le rôle exact des Etats-Unis fait encore débat, mais il est en tout cas amplement démontré que les services américains connaissaient de manière détaillée le fonctionnement autant que les actions entreprises par les membres de Condor. Une déclaration fameuse de Henry Kissinger émise à l’époque, résume sûrement bien la position officielle américaine à ce sujet : ” Si vous devez faire quelque chose, faîtes-le vite…”.

Un plan en trois phases

Le Plan Condor était organisé en trois phases : la première concernait l’échange d’informations et le suivi des opposants aux divers régimes impliqués. La seconde organisait leur élimination, dans leur pays d’origine comme dans les pays voisins où ils s’étaient réfugiés. La troisième quant à elle planifiait l’élimination des opposants en dehors des limites de Condor, notamment en Europe ou même aux Etats-Unis. Ils ont pour ce faire reçu l’aide ponctuelle ou globale d’agents américains, en particulier de Cubains anticastristes, des services espagnols du post-franquisme, des services italiens et même, semble-t-il d’agents français gagnés à leur cause. C’est précisément cette phase et les actions qu’elle impliquait qui a révélé au monde entier l’existence du plan : une série d’assassinats hautement publicisés en 1975-76 ont fait scandale, en particulier celui du chilien Orlando Letelier, ex-ministre de Salvador Allende à Washington. Ceci a conduit les membres de Condor à limiter leurs actions, en tout cas en dehors de l’Amérique latine.

Une violence indiscriminée

Officiellement, les membres de Condor entendaient en finir avec les groupuscules d’extrême gauche armés. Il va sans dire que les opérations de Condor ont en réalité concerné toute opposition en général, réelle ou fantasmée, armée ou non, politique, civile, religieuse, militaire, syndicale, sociale, parfois même de droite ou conservatrice, sans considération de sexe, d’âge, de nationalité : on compte un certain nombre de Français parmi leurs victimes et un procès est actuellement en cours en Italie. Cette interprétation plutôt large de la notion de subversion s’inscrivait dans le cadre d’une défense revendiquée de la Sécurité Nationale et des valeurs du Christianisme occidentale comme on disait alors. Rappelons qu’en dehors du Plan Condor lui-même, cette même répression s’est appliquée globalement contre les sociétés des dictatures des Etats membres, avec un paroxysme de violence en Argentine entre 1976 et 1980 faisant des dizaines de milliers de victimes.

Les absents du procès

Le plan Condor en soi a fait un nombre inconnu de victimes. Seuls une centaine de cas, de différentes nationalités, ont été pris en compte dans le procès qui vient de se conclure. Pour ce qui est des accusés, on signalera que leur nombre réduit tient beaucoup aux effets du temps : la plupart sont morts avant d’avoir été jugés dans le cadre de cette affaire, parmi lesquels le général Videla. On notera aussi que ce procès s’est concentré sur l’armée de terre, car l’accusation s’est portée sur les centres clandestins de détention tenus par cette dernière, en particulier au sein de la garnison militaire de Campo de Mayo, dans le Grand Buenos Aires. A notre connaissance, aucun procès de ce genre n’est actuellement en cours contre la Marine qui a pourtant joué un rôle moteur dans ces actions.

Les crimes jugés

Pour en revenir au procès en soi, on retiendra que l’acte d’accusation du procès parle de « crimes en bande organisée ». Derrière ce terme générique se cachent des faits d’enlèvement, tortures -qu’on se gardera bien de détailler-, et assassinats, notamment sur mineurs. Sont aussi compris des cas d’extorsion, au bénéfice des bourreaux, ainsi que des cas d’enlèvement d’enfants : cette accusation fait référence aux nouveaux nés dont les mères ont accouché au sein l’hôpital militaire de Campo de Mayo, qu’elles aient été enceintes au moment de leur capture ou du fait des viols répétés commis par leurs bourreaux. Dans un certain nombre de cas, quand ils n’étaient pas maltraités eux-mêmes devant leurs mères, ces nouveaux nés ont été distribués aux épouses de militaires ou de proches du régime dans le cadre d’un programme officieux d’adoption. Malgré les recherches effectuées en ce sens, la simple existence ainsi que le sort de nombre d’entre eux restent encore inconnus.

D’autres détails concernant le procès sur El País.

Source photo (les généraux Videla et Pinochet)